Pour un spectateur nomade…
Mais c’est aussi que Nicolas Bigards travaille depuis trois ans sur une forme (un théâtre non fermé, qui place acteurs et spectateurs ensemble au centre du dispositif scénique), qui l’a déjà mené de l’œuvre de Roland Barthes au roman noir américain. Une forme qu’il maîtrise de mieux en mieux, et dont le théâtre et la littérature sortent gagnants.
René Solis, Libération, 16 avril 2010
Nicolas Bigards, associé à Chantal de La Coste Messelière, scénographe, expérimente un théâtre qui abolit les frontières : scène / salle, acteur / spectateur, sensible / intelligible, plongeant le public dans des expériences insolites, entre déambulation et immersion, au plus proche du comédien, dans un jeu de proximité, au cœur du texte, au cœur de l’action, au cœur du sens. Tirant pleinement partie des possibilités du plateau qui lui est offert, Nicolas Bigards entraîne le spectateur dans toutes les dimensions du théâtre, dessous / dessus, coulisses, loges, monte-charge, atelier décor… autant d’espaces transformés, métamorphosés le temps de la représentation. Un théâtre où se mêle expérience sensible de l’espace scénique et proximité de la prise de parole.
Espaces non théâtraux pour textes non dramatiques : Max Aub, Roland Barthes, Antonio Lobo Antunes, John Dos Passos, James Ellroy… Nicolas Bigards tente de donner ainsi des espaces les plus adéquats à des écritures qui font la part belle à l’invention d’une langue, à l’invention littéraire.
Il est accompagné depuis longtemps par des comédiens fidèles à sa démarche : Thomas Blanchard, Judith Henry, Yannick Choirat, Laurent Sauvage et bien d’autres encore.
Les Chroniques : Une autre temporalité théâtrale.
Depuis 2006, Nicolas Bigards développe avec sa compagnie un projet singulier, lié à la résidence menée à la MC93, et qui a fédéré une équipe artistique, les permanents du théâtre et les habitants de la Seine-Saint-Denis, et plus particulièrement les habitants de Bobigny. Un projet, alliant création et partage de cette création par la sensibilisation, la formation et la transmission. De saison en saison, ils n’ont eu de cesse d’interroger leur outil, leurs outils et le rapport au public. Chaque fois, la question était « à qui nous adressons-nous ? » Il ne s’agissait nullement de s’adapter à un goût ou à une demande supposée du public, mais de se demander quels moyens mettre en œuvre afin de rencontrer un public le plus large possible, de lui permettre de s’approprier un lieu, une œuvre, une démarche.
En plus des spectacles, se sont créées des formes courtes, chaque saison renouvelées, susceptibles de répondre au mieux à cette exigence de partage. La compagnie a, par exemple, en 2007, conçu un rendez-vous régulier, sous forme de feuilleton, tout au long de la saison, en entrée libre, en tout début de soirée, d’une durée courte, dans une scénographie innovante mêlant comédiens et spectateurs dans un même espace. Ce format a trouvé son public, un public curieux, proche, des quartiers environnants, venant découvrir des formes théâtrales parfois déconcertantes pour lui, mais réservant aux artistes un accueil toujours bienveillant et enthousiaste. Ils ont ainsi pu faire entendre Roland Barthes, Georges Perec, Aragon, Breton, Zola, et aussi Raymond Chandler, Raymond Carver, Salinger, Dashiell Hammett, Dorothy Parker, Joan Didion, John Dos Passos ou bien James Ellroy.
C’est le cœur même de ce qui s’est appelé Chroniques du bord de scène : ouvrir le théâtre comme on ouvrirait l’atelier d’un peintre, d’un écrivain, permettre à tout un chacun de saisir ce qu’est un moment de la création, le geste de l’artiste comme celui de l’artisan, de la production du décor comme celui de l’écriture du texte. Et pour ce faire, un double impératif, un double mouvement : installer dans la durée une équipe artistique afin de diffuser durablement sur le territoire ; ouvrir le plateau, la scène et les spectacles à la participation d’un public amateur, jeunes et adultes.
Nicolas Bigards a mené plus avant encore cette réflexion lorsque, en 2010, il a occupé le poste de secrétaire général de la MC93 à la demande de son directeur, Patrick Sommier. Durant presque deux ans, il a ainsi poursuivi ce travail de réflexion à une plus large échelle. Il lui a semblé alors que cette problématique devait irriguer tous les services, de la technique à la communication, de la scène à la billetterie, et y insuffler des axes forts : création, partage et transmission. Il a tenté d’y répondre par des actions concrètes. Quelques-unes ont particulièrement marqué: des résidences confiées à des photographes, Grégoire Korganow et Rip Hopkins ; des résidences ou des commandes d’écrivains avec Philippe Adam ou Jake Lamar, la publication d’un journal du théâtre, l’édition d’un livre regroupant les textes des ateliers d’écriture etc.
La création de l’Atelier des 200 fut l’autre moment fort de cette réflexion. Conçu avec Jean-Michel Rabeux, Patrick Pineau, Patrick Sommier, il s’agissait d’offrir au plus grand nombre une initiation au théâtre, de faire l’expérience, forte, d’être sur un des plus grands plateaux de France, et découvrir ce qui fait la singularité du geste de chaque metteur en scène. C’est, depuis maintenant six ans, une grande fête du théâtre, le temps d’un week-end, qui réunit deux cents amateurs de théâtre, des plus novices au plus aguerris, jeunes et moins jeunes. Cette manifestation fut si remarquée qu’aujourd’hui le concept s’est exporté (Graz, Sofia, Rome, Porto et Berlin), et Nicolas Bigards a pu lui-même intervenir à Palerme.
Enfin, la question de la transmission est au cœur de sa démarche depuis les débuts. Des ateliers en collège jusqu’au masterclass avec de jeunes professionnels, il n’a eu de cesse de travailler à ce que des jeunes gens de Seine-Saint-Denis, avides de projets et désireux d’accéder aux scènes françaises, puissent trouver la meilleure préparation aux carrières artistiques. Dès 2010, il travaille à la création d’une classe « Egalité des chances », associant la MC93 et le Conservatoire de Bobigny, permettant ainsi à des jeunes gens de Seine-Saint-Denis de préparer les concours des Ecoles nationales supérieures de théâtre dans les meilleures conditions. Ces efforts se verront récompensés à la fois par l’admission de plusieurs de ses élèves au sein des plus prestigieuses écoles de théâtre (TNS, CNSAD…), mais aussi par le partenariat engagé avec le Conservatoire national supérieur d’Art dramatique de Paris, et enfin par la reconnaissance de cette classe par le ministère de la Culture comme « Classe préparatoire aux écoles nationales supérieures ».